Le lanceur d’alerte n’a pas à être désintéressé
Par un arrêt publié au Bulletin en date du 13 septembre 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée sur les conditions d’application de la protection du lanceur d’alerte.
En l’espèce, le directeur des opérations d’une société a été licencié pour avoir exercé des menaces et du chantage envers son employeur, en ayant dénoncé auprès de celui-ci des faits illicites relevant de la sécurité, en l’ayant informé des démarches qu’il entendait entreprendre auprès des autorités de contrôle et du procureur de la République, en l’ayant exhorté à réviser complètement sa politique commerciale à cet égard, et, enfin, en l’ayant avisé de graves manquements qu’il avait constatés concernant des facturations illicites de la part de son employeur.
Ledit salarié a contesté cette décision devant le Conseil de prud’hommes, en invoquant la nullité de son licenciement à raison de la violation de sa protection de lanceur d’alerte.
De son côté, la société estimait que son ancien directeur des opérations ne pouvait prétendre à cette protection dès lors que la condition du désintéressement n’était pas remplie.
En effet, la société mettait en exergue le fait que l’alerte lancée par le salarié s’était inscrite postérieurement à la prolongation de sa période d’essai, qu’il avait tenté, grâce à cette alerte, de négocier de nouvelles conditions de travail plus avantageuses et qu’il cherchait à favoriser une autre société pour l’obtention d’un marché adjugé par son employeur.
Au visa des articles L. 1132-3-3, alinéa 1 et 2, du code du travail, dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 et de l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, la Cour de cassation a jugé que le salarié qui relate ou témoigne de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions n’est pas soumis à l’exigence d’agir de manière désintéressée au sens de l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 et, d’autre part, qu’il ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.
La Cour de cassation a également rappelé qu’aux termes de l’article L. 1132-4 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, toute disposition ou tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance de ces dispositions est nul.
Dès lors, la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel d’avoir jugé que la protection du lanceur d’alerte devait être acquise au salarié qui, de manière non mensongère, avait dénoncé à son employeur les faits de nature délictuelle, en sorte que sa mauvaise foi n’était pas établie.
Par voie de conséquence, la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel d’avoir jugé le licenciement nul.
En réalité, la Cour de cassation s’est ici retranchée derrière la définition de lanceur d’alerte telle qu’entendue par le Code du travail qui protégeait la personne « ayant relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ».
Bien que rendue sous l’empire de dispositions antérieures, la décision de la Cour de cassation ici commentée conserve tout son intérêt car :
- d’une part, si la loi du 9 décembre 2016 exigeait du lanceur d’alerte qu’il soit désintéressé, tel n’est plus le cas depuis l’entrée en vigueur de la loi du 21 mars 2022, qui précise seulement que le lanceur d’alerte doit agir « sans contrepartie financière directe et de bonne foi» ;
- d’autre part, l’article L. 1132-3-3 du code du travail, tel que modifié par la loi du 21 mars 2022, a également conservé uniquement l’exigence de la bonne foi.
En pratique, donc, la motivation du salarié lanceur d’alerte importe peu.
Or, la démonstration de la mauvaise foi du salarié représente, au regard de la jurisprudence, une tâche particulièrement ardue voire une probatio diabolica.
On peut déplorer que le législateur n’ait pas conservé la notion de désintéressement et ne l’ait pas intégrée dans le code du travail car il parait tout de même regrettable que des salariés puissent dévoyer ces textes pour obtenir tout simplement une protection contre le licenciement et/ou des avantages financiers.
Article rédigé par notre Département Droit Social