Blog

Gramond & Associés / Droit social  / Contrôle des demandes d’activité partielle des sociétés de conseil

Contrôle des demandes d’activité partielle des sociétés de conseil

Après avoir vivement encouragé et facilité le recours à l’activité partielle sur simple demande déclarative, le Ministère du travail met aujourd’hui en garde les entreprises qui auraient établi de fausses déclarations pour détourner ce dispositif.

En effet, compte tenu du succès de cette mesure et de l’ampleur de son coût évalué à environ 24 milliards d’euros, le Ministère du Travail a alerté les entreprises ayant fait appel au chômage partiel du déploiement d’un plan de contrôle visant à débusquer les opportunistes et par la même à réduire le montant exorbitant de la facture.

Ainsi les décisions tacites de l’Administration, autorisant l’activité partielle, notifiées aux entreprises par mail ne présentent aucune sécurité juridique en ce qu’elles peuvent être remises en cause à l’issue des contrôles administratifs.

A cet effet, le Ministère du travail a adressé aux Direccte une instruction datée du 5 mai 2020 détaillant les contrôles qu’elles devront effectuer auprès des entreprises concernées en vue d’identifier les principales fraudes rencontrées et en particulier :

  • la mise en activité partielle de salariés auxquels il est demandé de travailler parallèlement,
  • les demandes de remboursement majorées par rapport au montant des salaires effectivement payés.

L’instruction vise des entreprises cibles vers lesquelles les contrôles seront prioritairement exercés.

Il s’agit :

  • des entreprises ayant présenté des demandes d’indemnisation sur la base de taux horaires élevés ;
  • des entreprises des secteurs fortement consommateurs d’activité partielle, notamment selon l’instruction du Ministère du travail du 5 mai 2020 « le BTP, les activités de services administratifs, de soutien et de conseil aux entreprises»,
  • des entreprises dont l’effectif est composé d’une majorité de cadres, dont l’activité est davantage susceptible d’être exercée en télétravail.

Les ESN et plus largement les sociétés de conseil sont donc dans le collimateur de l’Administration.

A l’issue des contrôles, les erreurs commises de bonne foi par les entreprises donneront lieu à une régularisation des indemnisations. En revanche, des déclarations frauduleuses exposeront les entreprises à des risques bien plus conséquents.

 

1- Risques encourus à l’issue des contrôles en cas de fraude

Les contrôles pourront exposer les entreprises :

  • au remboursement total de l’indemnisation perçue,
  • à l’application de sanctions administratives, à savoir :
    • l’exclusion pour une période maximale de 5 ans de l’accès à certaines aides publiques, dont l’aide demandée au titre de l’activité partielle et
    • le remboursement des aides publiques accordées dans les 12 mois précédant le procès-verbal constatant la fraude (article L8272-1 du Code du travail)
  • à l’infraction de travail dissimulé passible de peines pouvant aller jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende (article L8224-1 )
  • à l’infraction de fausse déclaration (article 441-6 du Code pénal) pouvant aller jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 30 000,00 € amende,
  • aux risques de contentieux prud’hommaux avec les salariés placés en chômage partiel,
  • au risque de redressement Urssaf sur les exonérations de charges appliquées sur les indemnités d’activité partielle

 

2- Organisation des contrôles par l’Administration

Les contrôles porteront tant sur la motivation de la demande de chômage partiel que sur les indemnisations demandées.

2.1.        Sur le contrôle de la motivation de la demande

Toutes les étapes du raisonnement qui ont mené au chômage partiel vont faire l’objet d’un contrôle.

Ainsi l’Administration va demander aux entreprises contrôlées de justifier les motifs économiques qui les ont conduites à suspendre ou réduire leur activité, et ce, service par service.

Si la démonstration peut être aisée en cas de fermeture administrative imposée par le Gouvernement, il en va différemment pour toutes les autres entreprises notamment celles qui exercent des activités intellectuelles qui doivent pouvoir expliquer les conséquences de la crise sanitaire sur leur activité à compter du jour du placement de leurs salariés en activité partielle.

Cette démonstration doit s’appuyer sur l’évolution significative d’indicateurs économiques tel qu’une baisse brutale de commandes ou du chiffre d’affaires, une dégradation de la trésorerie pièces comptables à l’appui et preuves de résiliations de contrats par exemple…

Bien entendu, les difficultés économiques devront avoir existé au jour du placement en chômage partiel des salariés et ne devront pas avoir été anticipées.

Dès lors, si le placement en chômage partiel du personnel a été réalisé par exemple au 1er jour du confinement, nul doute que l’Administration demandera à vérifier si les indicateurs économiques étaient bien au rouge dès cette date.

 

2.2          Contrôle des indemnisations demandées

Les enquêteurs chercheront à vérifier si les heures chômées déclarées et indemnisées correspondent bien à la réalité.

A cet effet, les contrôleurs disposeront :

  • d’un contrôle sur pièces
  • et du recoupement d’informations via la collaboration entre services comme les URACTI (unités de contrôle à compétence régionale chargée de la lutte contre le travail illégal), les URSSAF, les CODAF (comités opérationnels départementaux anti-fraude réunissant la police, la gendarmerie, les administrations préfectorales, fiscales, douanières et du travail, Pôle emploi, URSSAF, caisses d’allocations familiales, d’assurance maladie et de retraite, le régime social des indépendants (RSI), la MSA), le GNVAC (Groupe national de veille et d’appui et de contrôle) et l’OCLTI (Office central de lutte contre le travail illégal).

Les inspecteurs vont partir de l’analyse des bulletins de paie pour vérifier en pratique leur réalité.

A cet effet, l’Administration dispose de nombreux moyens :

  • Accessibilité par le ministère du travail aux inscriptions des informations sur les bulletins de paie

L’Administration a rappelé dans sa fiche technique du 3 avril 2020 qu « afin de faciliter le travail d’étude statistique et le contrôle des Unités départementales des Direccte, les informations inscrites sur le bulletin de paie, notamment celles relatives à l’activité partielle, sont désormais accessibles au ministère du Travail, dans le respect du régime de protection des données à caractère personnel ».

  • Signalement

 Le Ministre du travail demande aux Direccte de traiter rapidement et systématiquement tout signalement transmis par les salariés, les organisations syndicales de salariés ou les CSE.

  • Auditions des salariés par les inspecteurs du travail
  • Accès par les inspecteurs du travail à l’ensemble des livres, registres et documents rendus obligatoires par la réglementation en vigueur comme:
    • le registre unique du personnel,
    • les contrats de travail des salariés, et les bulletins de salaire,
    • tout document permettant de vérifier le respect des obligations sur le temps de travail (horaire collectif, décompte congés payés, RTT, fiches de suivi du temps de travail, plannings…),
    • le registre du CSE/PV du CSE
    • L’agent de contrôle peut également exiger d’autres éléments ou documents lui permettant de vérifier le respect de l’application des dispositions relatives à la lutte contre le travail illégal ( L 8271-6-2 du code du travail).
      Les enquêteurs pourront par exemple regarder le volume de mails échangés dans l’entreprise pendant la période de mise au chômage partiel, analyser les heures et les jours des mails échangés par les salariés (début et fin de journée).

Les enquêteurs pourront demander aux entreprises de rapporter la preuve de l’organisation du travail mise en place dans l’entreprise pendant le chômage partiel, la preuve de l’information précise des salariés sur cette organisation d’urgence pendant la crise sanitaire, la preuve de la consultation du CSE sur cette organisation pour les entreprises de plus de 50 salariés non dotés d’un PV de carence.

Ils vérifieront notamment que les demandes d’heures indemnisables n’ont pas été estimées à la louche en fonction de la perte du chiffre d’affaires sans correspondre à une réduction du temps de travail réelle des salariés consécutive à la baisse d’activité.

Ainsi à titre d’exemple ils vérifieront si les entreprises n’ont pas déclaré une réduction de temps de travail correspondant à une baisse des commandes sans pour autant informer les salariés de leur placement en chômage partiel, ni des modalités de la réduction de leur temps de travail laissant ainsi les salariés dans l’ignorance des plages horaires travaillées et des plages horaires chômées afin qu’ils continuent à travailler sur une base de travail non réduite.

3- Faire face au contrôle

Eu égard aux conséquences graves pour l’entreprise en cas de constat d’une fraude, il est essentiel de se préparer aux contrôles en les anticipant, en les gérant et en faisant usage du droit à l’erreur.

3.1          Anticiper le contrôle

3.1.1      Vérifier les déclarations adressées à l’Administration

Il convient d’anticiper le contrôle et de procéder aux vérifications des déclarations effectuées lors de la saisie de la demande d’autorisation soit par l’entreprise soit par l’expert-comptable.

Pour beaucoup d’entreprises, la crise sanitaire liée au covid 19 les a projetées dans une situation inédite avec des répercussions directes et significatives tant sur leur volume d’activité que sur leur organisation.

Le caractère soudain et brutal de la situation les a contraintes à réagir dans une situation de panique sans aucune préparation.

Bien souvent la précipitation a été la règle conduisant les dirigeants à donner des instructions rapides aux comptables et fonctions support sans analyse approfondie.

Aussi, il convient d’analyser la motivation établie lors de la demande et les déclarations de demande d’indemnisation pour les confronter à la réalité et aux justificatifs.

 

3.1.2      Dresser un état des lieux et faire preuve de bonne foi

L’analyse comparée des déclarations de l’entreprise avec les justificatifs des temps de travail des salariés permettra d’identifier les erreurs et les régularisations pouvant être apportées.

Sachant que les difficultés se concentrent essentiellement sur les salariés qui ont travaillé pour partie en télétravail et pour partie en chômage partiel, il conviendra d’apporter une attention particulière sur l’activité professionnelle de ces salariés.

Par ailleurs, bien souvent si une organisation du travail a été arrêtée au début de la crise, en pratique tant les besoins de l’entreprise que les contraintes personnelles des salariés (garde d’enfant, assistance d’une personne malade …) n’ont pas permis de respecter strictement l’organisation initiale.

Il convient dans ce cas, de contrôler a posteriori et rectifier le cas échéant les demandes d’indemnisation à venir, voire de régulariser les demandes passées pour qu’elles correspondent à la réalité.

Suivant les cas, il sera opportun de prendre rapidement contact avec l’Administration pour régulariser spontanément la situation.

 

3.1.3      Préparer les documents de contrôle

Il convient de préparer les documents de contrôle et en particulier :

  • les registres généraux : registre unique du personnel, registre du CSE, PV du CSE
  • les fiches permettant d’assurer le suivi des temps,
  • les contrats de travail et les bulletins de paye,
  • Les plannings,
  • les décomptes des heures chômées/ travaillées, des dates des congés payés, jours fériés chômés et de JRTT pour chaque salarié,
  • le cas échéant le recours aux logiciels de gestion du chômage partiel,
  • la reconstitution de l’historique de l’organisation du travail,
  • la collecte des déclarations par les salariés de leurs heures chômées/travaillées,
  • la réunion de l’ensemble des e-mails de communication et d’information des salariés sur leur placement en chômage partiel et leur organisation précise des plages horaires travaillées et des plages horaires chômées en cas de réduction de leur temps de travail et télétravail,
  • les preuves des ajustements des plannings en fonction des changements d’activité et de modification de l’organisation du travail (mails, sms…),
  • le décompte des heures chômées pour vérifier le respect de la limite du contingent autorisé,
  • un document identifiant les inter-contrat de plus de 30 jours (exclus par Syntec du bénéfice du chômage partiel) et ceux de moins de 30 jours,
  • un document établissant le caractère collectif du chômage partiel par service,
  • la liste des salariés exclus du chômage partiel (cadres dirigeants en cas de réduction de l’activité, fonctions support),
  • un document établissant la correspondance entre la baisse d’activité constatée et la réduction effective des salariés service par service.

 

  • Gérer le contrôle

Il convient de répondre aux demandes de pièces de l’inspecteur du travail afin d’éviter d’exposer la société au risque du délit d’opposition à l’accomplissement des fonctions de l’inspection du travail sanctionné par un an d’emprisonnement et 37 500 € d’amende (article L8114-1 du Code du travail).

Par ailleurs, il convient de rappeler que si l’inspecteur du travail peut auditionner les salariés de l’entreprise, ce n’est qu’avec leur accord.

 

  • Préparer son argumentaire/ le droit à l’erreur et la régularisation d’une situation non conforme au dispositif

Il est recommandé de préparer son argumentaire en dressant tous les éléments nécessaires pour apporter la preuve de sa bonne foi.

La panique, l’absence de préparation au confinement, l’imprécision des règles applicables qui ont été précisées par le gouvernement au fur et à mesure ayant placé l’entreprise dans une insécurité juridique ont pu être source de confusion et d’erreurs.

Si l’Administration venait à relever une irrégularité, le droit à l’erreur prévu par l’article L123-1 du code des relations entre le public et l’Administration peut être invoqué en vue de régulariser une situation non conforme au dispositif.

En effet, le Ministère du travail a demandé aux Direccte d’engager un dialogue avec l’entreprise en vue d’une régularisation « à l’amiable », en amenant l’entreprise à reconnaître son erreur et à la corriger.

La situation financière de l’entreprise devrait, selon le Gouvernement, être prise en compte dans les modalités de remboursement des régularisations notamment en autorisant un différé de paiement.

 

Pour toute question :

Mélanie Labossais-Gramond, avocat associé : mlg@gramond-associes.com

David Levy, avocat associé : dl@gramond-associes.com