Conformité à la Constitution de l’exclusion au mécanisme de révision pour imprévision concernant les opérations portant sur des titres et contrats financiers
Par une décision QPC n°2023-1049 du 26 mai 2023, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la constitutionnalité de l’exclusion du champ d’application de la révision pour imprévision pour les opérations portant sur des titres et contrats financiers.
Le Conseil avait été saisi le 15 mars 2023 par la chambre commerciale de la Cour de cassation conformément à l’article 61-1 de la Constitution. Une société contestait la constitutionnalité de l’article L. 211-40-1 du Code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de la loi n°2018-287 du 20 avril 2018 ayant ratifié l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, lequel exclut expressément l’application de la révision pour imprévision prévue à l’article 1195 du Code civil pour les opérations portant sur l’ensemble des instruments financiers définis à l’article L. 211-1 I à III du Code monétaire et financier.
La société requérante faisait valoir qu’une différence de traitement injustifiée (et donc une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi) avait été instituée entre d’une part les cessions de parts sociales ou les contrats aléatoires et d’autre part les cessions d’actions, la révision pour imprévision étant expressément écartée pour ces dernières. Ladite société soutenait également qu’une distinction entre les cessions d’actions sur les marchés financiers et les cessions de gré à gré aurait dû être opérée au regard de l’objectif qui avait été initialement recherché de protection des opérations réalisées sur les marchés financiers.
Pour rappel, l’article 1195 du Code civil prévoit que lorsqu’un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion d’un contrat rend son exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, et si les parties ne s’accordent pas sur la résolution du contrat et ne demandent pas d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation, ce dernier peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin.
Le Conseil constitutionnel rappelle de prime abord qu’au terme de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. Il en résulte que le législateur peut logiquement prévoir des traitements différents pour des personnes se trouvant dans des situations différentes.
Après analyse des travaux parlementaires, le Conseil constitutionnel écarte purement et simplement le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, ajoute que l’article L. 211-40-1 du Code monétaire et financier ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, afin d’éviter de prochaines QPC sur de nouveaux fondements, et déclare en conséquence ledit article conforme à la Constitution.
Pour fonder sa décision, le Conseil rappelle qu’en adoptant les dispositions contestées, le législateur avait entendu assurer la sécurité juridique d’opérations qui, eu égard à la nature des instruments financiers, intégraient nécessairement un risque d’évolutions imprévisibles de leur valorisation. Les Sages relèvent à ce titre que la cession des titres de sociétés de capitaux qui se caractérise par leur négociabilité, se distingue de la cession des parts sociales émises par des sociétés de personnes et qui ne peuvent être représentées par des titres négociables.
Sans bouleverser une pratique désormais bien développée, cette décision rappelle que les parties souhaitant déroger au mécanisme de l’imprévision prévu à l’article 1195 du Code civil doivent expressément le stipuler au sein des actes de cessions de parts sociales, tandis que cette exclusion est de droit pour les opérations portant sur des actions.
Une partie de la doctrine, et notamment le professeur à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, Bruno Dondero, estime néanmoins que la justification de cette différence de traitement s’appuyant uniquement sur le caractère « négociable » des actions n’est pas pleinement convaincante. En effet, le caractère négociable des actions ne s’attache pas à la variabilité de leur prix mais à leur modalité de transfert et d’opposabilité simplifiés.
Pour rappel, les cessions d’actions peuvent être matérialisées par la signature de simples ordres de mouvements (et Cerfa n°2759 pour les besoins de l’enregistrement fiscal) tandis que les cessions de parts sociales sont soumises au formalisme plus encadré des articles 1861 et suivants du Code civil.