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Contenu du reporting de durabilité : des concepts, des mentions et des normes

La directive dite « CSRD »(*1), transposée en droit français fin 2023, a instauré une nouvelle obligation de reporting en matière de durabilité, à la charge de certaines entreprises européennes et non européennes.

Cette obligation entre en vigueur selon un calendrier échelonné selon la taille de l’entreprise ou du groupe concerné. Les grandes entreprises et les grands groupes cotés de plus de 500 salariés y sont assujettis depuis le 1er janvier 2025, tandis que les PME cotées le seront à compter du 1er janvier 2027, sous réserve de certaines mesures d’exemption temporaires. [Pour plus de précisions sur la date d’entrée en vigueur du dispositif, voir notre article « RSE : êtes-vous concerné par le reporting de durabilité ? »].

Pour la plupart des entreprises françaises, le reporting de durabilité constituera une section spécifique du rapport de gestion (consolidé le cas échéant) (*2).

Cependant, le contenu de cette nouvelle section « durabilité » est bien plus ambitieux et normé que le reste du rapport de gestion, l’objectif du législateur européen étant d’atteindre un haut niveau de fiabilité, d’exhaustivité et de comparabilité des informations de durabilité en Europe, notamment par l’instauration :

– de normes communes dites « ESRS » (European Sustainability Reporting Standards), et
– d’un contrôle du rapport par un tiers indépendant (commissaire aux comptes ou organisme indépendant).

Face à la complexité de ce nouveau dispositif européen, et au niveau insuffisant de préparation d’une grande partie des entreprises potentiellement assujetties à court terme, de nombreuses voix des milieux économiques et politiques – et désormais les gouvernements allemand et français – appellent à un report, une révision voire un abandon de la Directive CSRD.

Sous pression, la Commission européenne s’apprêterait à modifier le dispositif CSRD d’ici la fin février. Le contenu de ce projet de directive modificative (dite « Omnibus ») n’est pas encore connu mais selon certains observateurs, cette dernière pourrait :

– rehausser les seuils d’assujettissement au reporting de durabilité, et/ou rendre certains critères cumulatifs et non plus alternatifs ;
– reporter d’un ou deux ans la date d’assujettissent pour les PME cotées ;
– écarter ou simplifier considérablement l’application des normes ESRS pour les PME cotées.

Tout en gardant un œil sur les prochaines évolutions, il est essentiel pour les entreprises amenées à franchir les seuils d’assujettissement de se saisir des concepts et notions apportés par la nouvelle réglementation – laquelle, rappelons-le, s’applique déjà à certaines grandes entreprises cotées dont les rapports de durabilité sont attendus pour les prochains mois.

Par ailleurs, bien que fastidieux à mettre en place, le nouveau dispositif impose aux entreprises une introspection poussée qui peut constituer une opportunité de s’interroger et d’agir sur leur modèle de développement.

Nous vous proposons d’appréhender succinctement quelques aspects relatifs au contenu du nouveau reporting de durabilité en abordant les concepts fondamentaux à maîtriser, les informations de durabilité dont il est question et les normes applicables au reporting.

1. Les concepts fondamentaux du reporting de durabilité

La double matérialité

Pierre angulaire du reporting de durabilité

Pour aborder le contenu du reporting de durabilité, il est indispensable d’en souligner l’objectif.
Ce dernier est mentionné à l’article L. 232-6-3 du code de commerce (dont la rédaction est héritée de l’article 1er al. 4 de la Directive CSRD), à savoir « comprendre les incidences de l’activité de la société sur les enjeux de durabilité, ainsi que la manière dont ces enjeux influent sur l’évolution de ses affaires, de ses résultats et de sa situation. »

Le texte précise ensuite que « Les enjeux de durabilité comprennent les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernement d’entreprise. »

Cette formulation résume à elle seule le principe dit de « double matérialité », concept central du nouveau dispositif de reporting de durabilité.

Il est à noter que ce concept n’est pas totalement nouveau puisque la directive 2013/34/UE (*3) -qui avait pour but de moderniser et simplifier les obligations comptables en Europe tout en jetant les bases de la déclaration de performance extra-financière (*4) – imposait déjà aux entreprises de publier des informations à la fois sur les incidences des activités de l’entreprise sur la population et l’environnement et sur la manière dont les questions de durabilité influent sur l’entreprise. Il s’agissait de la perspective de la « double importance relative », qui invitait à envisager deux points de vue : celui des risques pour l’entreprise et celui des incidences de l’entreprise. Toutefois, des évaluations ont démontré que ces deux points de vue sont souvent mal compris ou mal appliqués.

Le nouveau dispositif issu de la Directive CSRD a donc eu pour ambition de clarifier le fait que les entreprises devraient tenir compte de chacun de ces points de vue particuliers et publier les informations qui, selon les deux points de vue ou un seul, présentent une importance relative.

Application du concept : une obligation d’introspection

Plus précisément, le concept de double matérialité implique pour l’entreprise d’analyser les enjeux de durabilité sous deux perspectives complémentaires :

1°) la matérialité financière

Cette première dimension concerne la manière dont les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) affectent la performance économique, financière et opérationnelle de l’entreprise. Elle répond à la question : quels risques et opportunités liés aux aspects ESG peuvent influencer la valeur ou la viabilité financière de l’entreprise ?

La matérialité financière s’adresse principalement aux investisseurs et autres parties prenantes financières, leur fournissant des informations essentielles pour évaluer les performances économiques de l’entreprise et prendre des décisions éclairées. On considèrera en effet que ces « informations sont […] importantes pour les principaux utilisateurs des rapports financiers à usage général si on peut raisonnablement s’attendre à ce que leur omission, leur inexactitude ou leur obscurcissement influence les décisions que prennent ces utilisateurs sur la base de la déclaration relative à la durabilité de l’entreprise. »(*5)

En outre, « une question de durabilité est importante du point de vue financier si elle produit des incidences financières importantes sur l’entreprise, ou si l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle en produise. » Il peut s’agir de son développement, de sa position financière, de ses résultats financiers, de ses flux de trésorerie, ou de son accès au financement ou le coût du capital à court, moyen et long terme. (*6)

Par exemple :
• Les changements climatiques peuvent entraîner des coûts accrus liés à la réglementation ou aux catastrophes naturelles.
• La dépendance de l’entreprise à des ressources naturelles peuvent influencer la capacité de l’entreprise à continuer d’utiliser ou d’obtenir les ressources dont elle a besoin dans ses processus, ainsi que la qualité et la tarification de ces ressources.
• Une mauvaise gestion des ressources humaines peut provoquer des grèves ou diminuer la productivité.

2. la matérialité d’impact (ou externe)

Cette seconde dimension examine les impacts que l’entreprise exerce sur son environnement externe, qu’ils soient sociaux, environnementaux ou économiques.

Elle répond à la question : quelles sont les conséquences des activités de l’entreprise sur la société, l’environnement et ses parties prenantes ?

Une question de durabilité est importante de ce point de vue « lorsqu’elle a trait aux incidences positives ou négatives, réelles ou potentielles, de l’entreprise sur la population ou l’environnement à court, moyen ou long terme. Les incidences comprennent celles liées aux activités propres de l’entreprise et à sa chaîne de valeur en amont et en aval, y compris par l’intermédiaire de ses produits et services, ainsi que de ses relations d’affaires. Dans ce contexte, les incidences sur la population ou l’environnement comprennent les incidences liées aux questions environnementales, sociales et de gouvernance ». (*7)

Par exemple :
• Les émissions de CO2 générées par l’entreprise contribuent au réchauffement climatique.
• Des pratiques non responsables dans la chaîne d’approvisionnement peuvent nuire aux droits de l’Homme.

Enjeu pratique pour les entreprises

Avec la CSRD, les entreprises doivent en priorité :

• identifier les enjeux matériels selon ces deux axes.
• mettre en place des mécanismes pour évaluer et hiérarchiser ces enjeux.

L’EFRAG (organisation mandatée par la Commission européenne pour élaborer les normes ESRS applicables au reporting de durabilité, cf infra) a publié un guide afin d’aider les entreprises à se saisir du concept de double matérialité. (*8)

En outre, un logigramme permettant de déterminer les informations à inclure au titre des ESRS est joint aux normes ESRS instaurées par l’Annexe 1 du règlement délégué (UE) 2023/2772 rectifié. (*9)

La notion de chaîne de valeur

La notion de chaîne de valeur joue un rôle essentiel pour établir le reporting de durabilité.

En effet, les informations de durabilité requises portent non seulement sur la société elle-même, mais également « sur les activités de la société et sa chaîne de valeur, y compris ses produits et services, ses relations commerciales et sa chaîne d’approvisionnement » (art. R232-8-4 du code de commerce, Annexe 1 du Règlement Délégué UE 2023/2772 du 31/07/2023 rectifié).

La chaîne de valeur désigne l’ensemble des activités, relations d’affaires et processus qui interviennent directement ou indirectement dans la création de produits ou services d’une entreprise, englobant tant ses opérations internes que celles de ses partenaires externes.

En conséquence, cette notion élargit (et alourdit) considérablement le périmètre des informations de durabilité puisqu’elle inclut :

o les activités en amont (fournisseurs, approvisionnement en matières premières),
o les activités en aval (distribution, utilisation des produits et gestion de la fin de vie).

Le Règlement délégué précité n’exige pas d’informations sur chacun des acteurs de la chaîne de valeur, mais seulement l’inclusion d’informations importantes concernant la chaîne de valeur en amont et en aval. L’application de l’analyse de double matérialité permettra de déterminer si l’information est importante ou non. (*10)

Cette notion est source de complexité car il s’avère difficile de collecter des informations concernant la chaîne de valeur lorsque sont concernées des entités de la chaîne de valeur en amont et/ou en aval qui ne relèvent pas du champ d’application du reporting de durabilité (PME non cotées par exemple).

En conséquence, des tempéraments ont été apportés. Ainsi notamment, pour les trois premières années d’application, si les informations nécessaires concernant sa chaîne de valeur ne sont pas toutes disponibles, l’entreprise explique dans son rapport :

– les efforts déployés pour obtenir les informations nécessaires concernant sa chaîne de valeur,
– les raisons pour lesquelles les informations nécessaires n’ont pas toutes pu être obtenues,
– et ce qu’elle entend faire pour obtenir les informations nécessaires à l’avenir.

2. Les mentions et les normes du reporting de durabilité

Des mentions variables selon la taille de l’entreprise

La densité des informations à porter dans le nouveau reporting de durabilité varie selon la taille de l’entreprise ou du groupe en question :

– les grandes entreprises et les grands groupes sont soumis à l’obligation d’établir un reporting complet (art. R232-8-4 du code de commerce) ;
– les PME cotées devront établir un reporting simplifié (art. R22-10-29 du code de commerce) ; et
– les entreprises de pays tiers (non-UE) ayant des activités significatives dans l’UE auront à produire un reporting spécifique aux pays tiers (art. R. 232-8-8 du code de commerce).

[Pour la définition de ces catégories d’entreprises et de groupes, voir notre article : « RSE : êtes-vous concerné par le reporting de durabilité ? »].

Le tableau ci-après liste les mentions requises selon le type de reporting.

Il convient de souligner que la réglementation nouvelle permet exceptionnellement aux entreprises de garder confidentielles des informations, à certaines conditions.

Ainsi, les informations portant sur des évolutions imminentes ou des affaires en cours de négociation peuvent être omises dans des cas exceptionnels sur avis dûment motivé de l’organe de direction, à condition que cette omission ne fasse pas obstacle à la compréhension juste et équilibrée de l’évolution des affaires, des résultats, la situation et les incidences des activités (art. L232-6-3 II et L232-6-4 III (notamment) du code de commerce).

Il s’agit ici d’éviter que la publication de l’information en question nuise gravement à la position commerciale de l’entreprise ou du groupe.

Les normes ESRS

Objet des normes ESRS

La manière dont doivent être présentées les informations de durabilité listées ci-avant n’est pas laissée à la libre appréciation des entreprises assujetties : elle est strictement encadrée par des standards européens, dits « ESRS » (European Sustainability Reporting Standards).

A cet égard, il peut être intéressant de relever que le code de commerce (l’art. R232-8-4 III par exemple) se contente de renvoyer directement aux textes européens en la matière (en l’occurrence, à l’article 29 ter de la directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil, tel qu’issu de la Directive CSRD), ce qui dénote le haut degré d’harmonisation européenne recherché par le nouveau reporting de durabilité.

Les normes ESRS ont pour objectif de détailler avec précision quelles informations en matière de durabilité une entreprise doit publier dès lors qu’elle aura procédé à son analyse de double matérialité. (*11)

Les normes ESRS font l’objet d’une instauration progressive par la Commission européenne, par voie d’actes délégués publiés successivement.

Premières normes ESRS adoptées : les ESRS universelles

C’est ainsi que le premier lot de normes ESRS, dites normes ESRS « universelles » ou « non sectorielles », applicables à toutes les entreprises quel que soit leur secteur d’activité, a été adopté le 31 juillet 2023. (*12)

Ces normes sont d’ores et déjà applicables à certaines grandes entreprises et certains grands groupes (*13) puisqu’ils sont soumis à l’obligation d’établir un reporting de durabilité depuis le 1er janvier 2025.

Ce premier lot de normes est structuré comme suit (cf. Annexe 1 du Règlement délégué rectifié) :

Il convient de souligner que certaines de ces normes sont d’application progressive (*14), notamment :

– les entreprises de moins de 750 salariés peuvent reporter de 1 à 2 ans la publication des informations signalées par un (*),
– toutes les entreprises pourront, la première année, omettre diverses informations (incidences financières escomptées liées à des aspects environnementaux non climatiques et certains points de données relatifs aux salariés).

En outre, il n’est pas exigé d’une entreprise qu’elle publie des informations sur toutes les questions environnementales, sociales et de gouvernance requises lorsqu’elle considère, après son évaluation de double matérialité, que le thème en question n’est pas important, étant toutefois précisé qu’en tout état de cause, certaines informations doivent toujours être publiées indépendamment du résultat de l’analyse de double matérialité, telles que notamment les informations de la norme ESRS 2.

Normes à venir

D’autres actes délégués sont amenés à être publiés afin d’instaurer :

– les normes ESRS spécifiques pour les PME cotées sur un marché réglementé (attendues initialement pour juin 2025, sous réserve des aménagements à apporter par la Directive Omnibus) ;
– les normes ESRS sectorielles qui s’appliqueront à toutes les entreprises au sein d’un secteur donné qui serait considéré comme insuffisamment par les normes thématiques ;
– et enfin, des normes ESRS spécifiques aux sociétés des pays tiers à l’UE ayant des activités significatives dans l’UE.

Il est à noter que la date limite d’adoption des normes sectorielles et des normes générales d’information pour les entreprises de pays tiers a été reportée de deux ans (soit au plus tard le 30 juin 2026).

Ce répit ne sera pas de trop pour permettre aux entreprises prochainement assujetties (et en particulier les PME) de digérer la première salve d’ESRS.

Pour les y aider, de nombreux guides et Q&A sont disponibles afin mieux appréhender les normes ESRS et se préparer à leur application. On peut citer notamment :

– la documentation publiée par l’EFRAG, accessible sur son site Internet ;
– le guide pédagogique publié par l’Autorité des normes comptables française en octobre 2024.

Enfin, l’AMF a dressé un bilan de ses revues des déclarations de performance extra-financière (DPEF) des sociétés cotées entre 2023 et 2024. Il apporte des éclairages pédagogiques sur l’application de la directive sur le reporting de durabilité des entreprises (« CSRD ») et ses normes de durabilité. (*15)

Restez connecté pour plus d’informations sur les modalités du nouveau reporting de durabilité !

Fabio Pires

*1- Directive UE n° 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil du modifiant le règlement (UE) no 537/2014 et les directives 2004/109/CE, 2006/43/CE et 2013/34/UE, dite « Directive CSRD ».
*2- Toutefois, les entreprises non assujetties à l’obligation de produire un rapport de gestion mais soumises au reporting de durabilité (en particulier certaines entreprises non-établies en UE ), devront établir un rapport de durabilité spécifique.
*3- Article 19 bis, paragraphe 1, et article 29 bis, paragraphe 1.
*4- Directive (UE) 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 modifiant le règlement (UE) no 537/2014 et les directives 2004/109/CE, 2006/43/CE et 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises.
*5- Annexe 1, chapt. 3.5, du Règlement délégué (UE) 2023/2772 de la commission du 31 juillet 2023 complétant la directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les normes d’information en matière de durabilité.
*6- Cf supra.
*7- Annexe 1, chapt. 3.4, du Règlement délégué (UE) 2023/2772 de la commission du 31 juillet 2023 complétant la directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les normes d’information en matière de durabilité. NB : ce règlement délégué a fait l’objet d’un rectificatif (JO L, 2024/90408, 26.7.2024).
*8- https://www.efrag.org/en
*9- Appendice E « Logigramme permettant de déterminer les informations à inclure au titre des ESRS »
*10- Annexe 1 §5 du Règlement délégué précité
*11- Une question de durabilité est « importante » lorsqu’elle répond aux critères correspondant à l’importance du point de vue de l’impact (ou de « l’incidence »), à l’importance du point de vue financier, ou aux deux à la fois. Toutefois, et comme précisé ci-après, indépendamment du résultat de son évaluation de double matérialité, certaines informations doivent toujours être publiées.
*12- Règlement délégué (UE) n°2023/2772 de la Commission, Annexe 1, précité.
*13- A savoir : les grandes entreprises cotées sur un marché réglementé employant plus de 500 salariés, et les grands groupes dont la société mère est cotée sur un tel marché et employant en consolidé plus de 500 salariés.
*14- cf. Annexe 1 du Règlement délégué précité norme ESRS 1, n° 10.
*15- https://www.amf-france.org/sites/institutionnel/files/private/2024-12/rapport-amf-2024-bilan-reporting-durabilite-des-societes-cotees_fr.pdf