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L’ordonnance du 14 avril 2020 « AMAZON » : une décision excessive et contradictoire – Analyse juridique de Mélanie Labossais-Gramond

La presse s’est fait l’écho de l’ordonnance dite « AMAZON » en la présentant comme une victoire des syndicats sur le grand « méchant » Amazon.

Une analyse juridique plus attentive montre en réalité que cette décision est manifestement excessive et contradictoire.

  • Une décision excessive

Cette décision est excessive dans la mesure où le juge interdit à Amazon de livrer tout produit hors « produits alimentaires, produits d’hygiène et produits médicaux » alors que l’arrêté du 15 mars 2020 complétant l’arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 n’interdit pas aux entreprises ni de livrer des marchandises, ni de vendre certains produits.

Bien au contraire, la livraison de produits constitue une mesure pour limiter la propagation du virus en évitant le déplacement et la concentration des personnes dans les magasins.

Ainsi, l’arrêté du 15 mars 2020 interdit l’ouverture des  magasins de vente et centres commerciaux, « sauf pour leurs activités de livraison et de retraits de commandes ». Il en est de même concernant les restaurants et débits de boissons, qui sont autorisés à exercer exclusivement leurs activités de livraison et de vente à emporter.

En outre, l’arrêté autorise expressément le commerce d’ordinateurs, d’unités périphériques et de logiciels, de matériels de télécommunication, le commerce de détail de matériaux de construction, quincaillerie, de journaux et papeterie, de fournitures pour les animaux de compagnie…y compris en magasin.

Ainsi, en restreignant l’activité d’Amazon, alors que Mr Bricolage et d’autres enseignes bénéficient de leur côté du droit de continuer à vendre leurs produits, les juges ont manifestement excédé leurs pouvoirs.

  • Une décision contradictoire

En réalité le Tribunal était saisi d’une question portant sur l’obligation de sécurité en droit du travail.

Le Tribunal considère après avoir apprécié souverainement les éléments présentés par la société Amazon pour assurer la sécurité de ses salariés, qu’elle aurait méconnu son obligation de sécurité jugeant toutes les mesures prises par elle insuffisantes.

Ainsi, le Tribunal, a jugé selon lui, que l’insuffisance des mesures constituait un trouble manifestement illicite et que le non-respect de l’obligation de sécurité rendait nécessaire de prévenir un dommage imminent lié à la contamination du COVID 19 l’autorisant ainsi à prescrire des mesures conservatoires.

A cet effet, il  a ordonné à la société Amazon sous astreinte de 1 000 000 euros par jour de retard et par infraction  «  de restreindre les activités de ses entrepôts à la réception des marchandises, la préparation et l’expédition des commandes de produits alimentaires, de produits d’hygiène et de produits médicaux tant que la société n’aura pas mis en œuvre, en y associant les représentants du personnel une évaluation des risques inhérents à l’épidémie de covid-19 sur l’ensemble de ses centres de distribution ainsi que les mesures prévues à l’article L4121-1 du Code du travail ».

Toutefois cette décision est contradictoire.

En effet, le Tribunal a jugé l’insuffisance des mesures prises par Amazon suffisamment grave pour caractériser un manquement à l’obligation de sécurité, mais a maintenu les entrepôts ouverts.

Le Tribunal a jugé que les salariés étaient exposés à un dommage imminent mais les a maintenus dans leur intégralité en poste.

Le Tribunal a restreint l’activité de la Société à certains produits, mais n’a pas ordonné la réduction du volume d’activité traité par les salariés.

Ainsi, cette décision est en conclusion dénuée de fondement juridique et inapplicable en pratique.

Amazon a d’ailleurs préféré fermer ses entrepôts 5 jours le temps d’évaluer à nouveau les risques inhérents à l’épidémie de covid-19  plutôt que de respecter à la lettre

Cette décision dont elle vient d’ailleurs de faire appel.

Lorsque le politique guide les juges leur pouvoir côtoie l’arbitraire, l’ordonnance du 14 avril en est la triste illustration.

 

Une analyse juridique de l’ordonnance Amazon (avril 2020) réalisée par Mélanie Labossais-Gramond, avocat associé spécialiste en droit social.