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Garantie d’actif et de passif et licenciement d’un salarié postérieurement à la cession de droits sociaux, déclaré inapte en raison d’un accident survenu antérieurement à la cession : vers un revirement de jurisprudence ?

Par un arrêt rendu le 6 juillet 2022 (n°21-11.483), la chambre commerciale de la Cour de cassation semble adopter un revirement de jurisprudence s’agissant de la mise en œuvre d’une garantie d’actif et de passif à la suite d’un licenciement d’un salarié postérieurement à la cession de droits sociaux de la société qui l’employait mais qui a été provoqué par l’inaptitude de ce salarié en raison d’un accident de travail intervenu antérieurement à cette cession.

En l’espèce, en 2011, un salarié d’une société a été victime d’un accident de travail ayant entraîné son arrêt. En 2014, l’associé majoritaire de cette société a cédé tous ses droits sociaux à un tiers et lui a accordé une garantie d’actif et de passif. En 2016, un médecin du travail a déclaré ce salarié définitivement inapte à son emploi (avec impossibilité de maintien dans l’entreprise au vu de son état de santé, lequel ne permettait par ailleurs pas à la société de faire de propositions de reclassement), de sorte qu’un mois plus tard, la société a licencié ce salarié, qui a saisi un conseil de prud’hommes afin de qualifier son départ de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le cessionnaire et la société dont les titres ont été cédés ont alors sollicité le cédant aux fins de prendre en charge les indemnités de rupture et autres indemnités demandées par ce salarié en invoquant la garantie d’actif et de passif. Le cédant ayant refusé, elles l’ont assigné en exécution de la garantie.

La Cour de cassation, validant le raisonnement de la Cour d’appel, rejette les arguments, classiquement opposés par le cédant au cessionnaire et à la société cédée, en affirmant que « au sens de la convention de garantie d’actif et de passif, l’accident du travail était la cause du passif nouveau généré par le licenciement du salarié et que, cet accident étant antérieur à la cession des actions, les demandes [du cessionnaire et de la société cédée] se situaient dans le périmètre de cette convention ».

En ce sens, la Cour de cassation semblerait annoncer un revirement de jurisprudence.

En effet, elle a déjà eu l’occasion de se prononcer à plusieurs reprises sur la question de l’applicabilité d’une convention de garantie de passif lorsqu’un employeur licenciait, postérieurement à une cession de droits sociaux, un salarié déclaré inapte à la suite d’événements intervenus antérieurement à cette cession. Elle jugeait alors que, sous réserve de précisions dans la convention de garantie, les indemnités de rupture qui seraient dues à ce salarié étaient hors du champ de la garantie puisque le fait générateur de cette augmentation de passif (une dette en l’occurrence) était la décision de licenciement et non l’évènement qui était à l’origine de l’inaptitude du salarié ayant par la suite entraîné son licenciement[1].

Or en l’espèce, la Cour de cassation adopte la solution inverse en estimant que l’accident de travail du salarié est l’évènement qui a causé son inaptitude, ayant donné lieu ensuite à son licenciement. Par suite, l’augmentation de passif de la société dont les titres ont été cédés est, selon la Haute Juridiction, due à cet accident, qui, parce qu’intervenu avant la cession, se situe dans le périmètre de la convention de garantie.

Cette solution est étonnante dès lors qu’il est curieux d’estimer qu’un accident de travail puisse être le fait générateur d’indemnités de rupture alors qu’il est normalement interdit à l’employeur d’user de son pouvoir de résiliation unilatérale pendant la période de suspension du contrat d’une victime d’accident de travail et qu’avant la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 (non applicable aux faits d’espèce), la Cour de cassation affirmait que l’employeur était tenu de respecter son obligation de reclassement en cas d’arrêt d’un salarié pour maladie, quand bien même l’avis médical soulignait l’impossibilité de reclassement, de sorte que le fait générateur du paiement d’indemnités de rupture au titre de ce licenciement était bien la décision de licencier le salarié et non l’évènement à l’origine de son inaptitude.

Cette solution doit par ailleurs être analysée avec prudence dès lors que la Cour de cassation se limite à valider le raisonnement de la Cour d’appel qui a statué « au sens de la présente convention de garantie d’actif et de passif », sans toutefois nous apporter de précisions quant à la rédaction de cette convention, ce qui est regrettable.

[1] Notamment, Cass. Com., 2 décembre 2020, n°18-11.336

Julien Loth