L’Ordonnance sur les à-valoir contraire à la réglementation européenne ?
Le 2 juillet dernier, la Commission européenne a ouvert des procédures d’infraction à l’encontre de dix pays de l’UE, dont la France et leur a adressé une lettre de mise en demeure.
Le 26 mars 2020 était publiée l’ordonnance n°2020-315 (ci-après « l’Ordonnance ») relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques et de séjours en cas de circonstances exceptionnelles et inévitables ou de force majeure, adoptée par le gouvernement en application de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.
L’Ordonnance autorise les professionnels du tourisme à octroyer à leurs clients des avoirs en lieu et place d’un remboursement en cas d’annulation d’un voyage à forfait ou d’une prestation touristique, hors transport.
En ce qui concerne l’annulation de voyages à forfait, l’Ordonnance paraissait effectivement contraire au principe posé par la Directive européenne 2015/2302 sur les voyages à forfait d’un remboursement sans pénalité en cas d’annulation causée par des circonstances exceptionnelles et inévitables.
Néanmoins, dans les lignes directrices publiées par la Commission européenne le 19 mars dernier, le gouvernement français avait cru voir la possibilité de proposer au client un avoir (Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n°2020-315 du 25 mars 2020, JORF n°0074 du 26 mars 2020, Texte n°34).
Toutefois, la Commission européenne a récemment rappelé que si la mise en place d’un avoir est possible, le consommateur doit conserver le choix d’obtenir un remboursement.
Dans ce contexte, le 2 juillet dernier, la Commission européenne a adressé à la France, ainsi qu’à neuf autres Etats membres de l’UE, une mise en demeure afin que ces Etats se conforment à la législation européenne en permettant le remboursement des voyages à forfait annulés.
Les Etats ont deux mois pour répondre à la Commission et « prendre des mesures pour remédier aux manquements qu’elle a recensés ». A défaut, la Commission leur adressera un avis motivé leur demandant à nouveau de se conformer au droit européen, faisant courir un nouveau délai de deux mois.
Enfin, pour les Etats qui continueraient à ne pas respecter les demandes de la Commission, elle pourra saisir la Cour de justice de l’UE, afin que les Etats récalcitrants soient sanctionnés.
Toutefois, et cela devrait être de nature à rassurer les agences de voyages, la directive européenne n’ayant pas d’effet direct dans la législation nationale et nécessitant une transposition, la Commission européenne ou la Cour de justice de l’UE n’ont pas le pouvoir d’annuler rétroactivement l’Ordonnance adoptée, ni ses effets passés.
Pour la même raison, les agences de voyages et les tours opérateurs ne pourront pas être sanctionnés pour avoir octroyé des avoirs en application d’une ordonnance régulièrement adoptée par le gouvernement français.
En revanche, si l’Etat français abrogeait ou modifiait l’Ordonnance, les agences de voyages pourraient être contraintes de procéder, à compter de cette modification, aux remboursements des voyages annulés.
Une telle mesure pourrait avoir des conséquences néfastes sur le secteur du tourisme puisque les agences de voyages et tours opérateurs n’ont généralement pas les fonds dont il est question. En effet, les acomptes versés par les clients ne sont pas conservés dans la trésorerie du voyagiste, mais utilisés pour payer les prestataires finaux.
A cet égard, si l’Etat français souhaite se conformer à la demande de la Commission, il est impératif que ce soit l’ensemble de l’Ordonnance qui soit modifié.
En effet, les autres professionnels du tourisme, comme les hôteliers, les salles de spectacles… ne sont pas concernés par la directive européenne 2015/2302, de sorte que le bénéfice des « à-valoir » pourrait théoriquement être maintenu à leur égard.
Un tel dispositif bénéficiant uniquement à ces professionnels mettrait les agences de voyages et les tours opérateurs dans une situation insupportable puisqu’ils seraient contraints de rembourser les clients, tout en étant dans l’impossibilité d’obtenir de leurs prestataires le remboursement des prestations annulées.
Avocat, Droit du tourisme