Précisions sur la validité d’une opération qualifiée d’apport en nature rémunéré par des BSA
Par un arrêt rendu le 17 février 2022 (n°21/00370), la Cour d’appel de Paris a jugé que la convention par laquelle une personne transférait à une société les parts sociales qu’elle détenait dans une autre société et recevait en contrepartie des bons de souscription d’actions (BSA) devait s’analyser, non comme un échange mais comme un apport, de sorte que cette convention doive être annulée dès lors qu’une clause prévoyait la caducité des BSA en cas de licenciement pour faute grave de l’attributaire des titres.
En l’espèce, une société a acquis 100% des parts sociales d’une autre société, détenue initialement par trois associés, dont deux personnes physiques qui ont reçu, en contrepartie du transfert de leurs parts sociales, des BSA émis par la société cessionnaire. Ces deux associés sont devenus salariés de la société cessionnaire, étant précisé que chaque BSA ne pouvait être exercé qu’à compter du 5ème anniversaire de leur attribution et qu’elle n’était possible que si les deux titulaires n’avaient pas perdu la qualité de salarié de la société pour faute grave.
Or, l’un des deux titulaires de BSA a précisément été licencié pour faute grave de la société cessionnaire. Il a ainsi contesté la régularité de l’opération susvisée au motif, notamment et pour ne citer que lui, que l’opération susvisée s’analysait en un échange et non en un apport de sorte que l’absence d’aléa y afférent rendait le transfert des parts sociales nul pour défaut de contrepartie.
La Cour d’appel a raisonné en plusieurs temps en estimant dans un premier temps que l’opération susvisée était bien un apport en nature et non un échange, tout en affirmant dans un second temps qu’il n’existait pas de contrepartie réelle à cet apport de parts sociales à la société cessionnaire à cause de l’existence d’une clause de caducité des BSA en cas de licenciement pour faute grave, cette clause devant, en tout état de cause, être considérée comme illicite au regard de l’article L. 1331-2 du Code du travail réputant non écrites les clauses prévoyant des sanctions pécuniaires contre le salarié.
S’agissant de la qualification de l’opération, la question méritait d’être posée dès lors que la rémunération du transfert de parts sociales n’était pas des actions mais des BSA qui ne confèrent ainsi pas immédiatement (voire jamais) la qualité d’associé à l’apporteur.
Toutefois, refuser la qualification d’apport en nature à cette opération juridique reviendrait à méconnaître la protection nécessaire des associés en place contre un risque de dilution si l’opération pouvait intervenir sans commissaire aux apports pour s’en assurer. En outre, aucun texte ne prévoit que l’apporteur doive acquérir dès la réalisation de l’apport, la qualité d’associé. Enfin, cette position est confortée par la doctrine majoritaire et la Cour de Cassation[1] qui a récemment affirmé qu’une convention par laquelle une personne s’engage à transférer l’intégralité des actions qu’elle détient dans une société à une autre société en contrepartie de l’attribution d’actions à bons de souscription d’action et d’obligations convertibles en action s’analyse non comme une vente mais comme un apport.
S’agissant de l’existence d’une contrepartie effective au bénéfice de l’apporteur en revanche, la Cour d’appel a ainsi donné raison à l’apporteur en estimant qu’il n’existait aucun aléa du fait de la longue période préalable à la possibilité d’exercer les BSA (5 ans) et surtout de la caducité automatique du droit d’exercice en cas de licenciement pour faute grave, dont elle estime qu’elle n’est pas indépendante de la volonté de la société émettrice mais relève de la seule compétence de l’employeur, peu important que le licenciement puisse ensuite être contesté devant les tribunaux.
Cette solution a le mérite de nourrir la discussion jurisprudentielle concernant les clauses de présence dans les contrats d’émission de stock-options conditionnant l’exercice de ces derniers à la présence de leurs titulaires au sein de l’entreprise, dont la validité a été confirmée par la Cour de Cassation[2].
Le fait que les BSA deviennent caducs en cas de licenciement pour faute grave de leurs titulaires a sans doute été une condition déterminante dans la décision de la Cour d’appel qui n’avait qu’à s’abriter derrière la prohibition des sanctions pécuniaires des salariés au titre du Code du travail, déjà validée par la Cour de Cassation s’agissant des stock-options[3], pour rendre cette clause non écrite et ainsi priver de toute contrepartie l’apport en nature des parts sociales de la personne devenue salariée de la société cessionnaire auprès de cette dernière.
[1] Cass. Com., 9 mars 2022, n°20-14.773
[2] Cass. Soc., 2 février 2006, n°03-47.180
[3] Cass. Soc., 21 octobre 2009, n°08-42.026