Quel juge est territorialement compétent pour ordonner une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile lorsque l’expertise porte sur un immeuble ?
Deux jugements du 26 septembre 2024 du Tribunal judiciaire de Paris méritent attention (RG : 24/54865 et 24/55699).
Ces deux décisions ont été rendues en « en état de référé » en application de l’article 487 du code de procédure civile. Autrement dit, le président du Tribunal, saisi en référé, a décidé de renvoyer ces affaires devant la formation collégiale.
Par ailleurs, elles ont été rendues après la consultation de deux professeurs, Messieurs Roda et Goujon-Bethan.
Cela en dit déjà long sur l’importance accordée à la problématique posée au juge des référés, étant rappelé que ce même juge des référés parisien avait déjà été saisi d’une question identique il y a quelques temps et avait statué dans le même sens le 21 juin 2024 dans plusieurs instances distinctes.
Quelle est cette problématique ?
Elle porte sur la compétence territoriale du juge des référés lorsque celui-ci est saisi d’une demande de mesure d’instruction in futurum devant porter sur un immeuble.
Jusqu’alors, les demandeurs à de telles mesures avaient le choix, en application des articles 42 et 46 du code de procédure civile. Ces articles envisagent la compétence de principe du tribunal dans le ressort duquel se trouve le domicile du défendeur (article 42), puis diverses situations dans lesquelles il est permis d’attraire ledit défendeur devant une autre juridiction (article 46).
Le cas de la demande de mesure d’instruction sollicitée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile n’est pas prévu.
Le plus souvent, ce sont les présidents des tribunaux dans les ressorts desquels se trouvent les immeubles concernés par la mesure d’instruction qui sont saisis. Cette compétence optionnelle purement prétorienne n’est cependant pas toujours choisie ; certains plaideurs préfèrent saisir le président de la juridiction qui sera compétente au fond, celle où réside le défendeur, celle du lieu d’exécution du contrat ou encore celle contractuellement choisie par les parties.
Quelle a été la position du tribunal judiciaire de Paris ?
Le tribunal parisien ne le voit pas de cet œil et a décidé de faire jurisprudence : désormais, le demandeur à la mesure d’instruction n’a plus d’option ; il doit obligatoirement saisir le juge du lieu où il devra être procédé à la mesure sollicitée. Comme en matière réelle immobilière (article 44 du CPC), ce juge est considéré comme seul compétent pour ordonner une mesure d’instruction portant sur un immeuble.
Comment est motivée cette prise de position étonnante ?
D’abord, les magistrats soulignent que les « mesures d’instruction in futurum sont régies par le seul article 145 du code de procédure civile et se caractérisent par une grande autonomie ».
Ils rappellent à cet égard, comme souligné ci-avant, que les articles 42 et suivants du code de procédure civile ne visent pas le cas des mesures d’instruction in futurum de l’article 145.
Ensuite, et surtout, ils se réfèrent au « principe d’une bonne administration de la justice, objectif à valeur constitutionnelle » en prenant soin de préciser qu’il appartient au juge « d’adapter l’interprétation des textes sur la compétence territoriale aux enjeux du référé, mais aussi aux enjeux modernes du principe de proportionnalité ». Ils ajoutent que la « la notion de proximité avec le juge est une des composantes essentielles d’une bonne administration de la justice, en particulier dans le cadre d’une mesure d’expertise judiciaire portant sur un bien immobilier ». Sur cette notion de proximité, les magistrats indiquent que le juge qui ordonne l’expertise est aussi celui chargé de son contrôle, de telle manière qu’il vaut mieux que le juge du contrôle soit celui du lieu de la mesure. Selon le Tribunal de Paris, le juge dans le ressort duquel la mesure sera exécutée sera aussi mieux placé pour désigner un expert local et pour, le cas échéant, convoquer les parties et leur proposer un règlement amiable ou encore organiser un transport sur place en cas d’incident.
Les deux jugements du 24 septembre 2024 – qui viennent confirmer ceux du 21 juin 2024 -, créent donc de toute pièce un nouveau chef de compétence exclusive.
Les chefs de compétence exclusive sont rares. Ça l’est encore plus lorsque l’un d’eux est purement prétorien.
Nul doute que cette initiative des magistrats parisiens fera couler de l’encre. Celle de la doctrine, c’est certain, mais aussi peut-être celle de la Cour d’appel de Paris si elle se voit saisie d’un recours.