Une avancée dans la protection des œuvres de design
Cour de cassation, 1ère chambre civile, 7 octobre 2020, n°19-11.258
En 1980, un designer a dessiné une applique destinée à éclairer des tableaux et cédé l’exploitation de ses droits à une société tierce, laquelle a découvert que l’hôtel Majestic de Cannes avait installé des appliques similaires dans son complexe hôtelier. Le designer et la société exploitant ses droits ont donc assigné en contrefaçon la société immobilière du Majestic et son fournisseur, mais aussi sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme. La société ayant vendu les appliques litigieuses à l’hôtel a, à son tour, appelé en intervention forcée son propre fournisseur.
Dans cette affaire, les deux principales questions débattues étaient, d’une part, l’appréciation du caractère original de la création du designer et, d’autre part, les fondements multiples choisis par les demandeurs : la contrefaçon, la concurrence déloyale et le parasitisme.
Les conseillers de la Cour de cassation ont donc été invités à statuer sur :
- les conditions de recevabilité de l’action en contrefaçon d’une création de design ;
- la possibilité pour le demandeur à l’action de se fonder sur des faits matériellement identiques pour agir en contrefaçon, en concurrence déloyale et au titre du parasitisme ?
I-Sur l’appréciation du caractère original de la création de design et la recevabilité de l’action en contrefaçon
Se posait à la Cour la question de savoir si devait primer le caractère fonctionnel et utilitaire de l’applique ou l’empreinte de la personnalité de l’artiste.
En propriété littéraire et artistique, et particulièrement dans le domaine du design, il est parfois difficile de déterminer avec précision et efficacité la limite entre, d’une part, la création d’une chose utile ou fonctionnelle et, d’autre part, la création d’une réelle œuvre originale au sens du droit d’auteur.
Concernant plus particulièrement l’applique litigieuse, le caractère fonctionnel est, selon son créateur, secondaire. Elle est ainsi décrite dans le premier moyen de cassation : « une lampe très sobre, au sein de laquelle la source lumineuse est invisible et orientée vers le tableau qu’elle éclaire, les embouts de la lampe épousent le tube lumineux de section ronde et se prolongent par deux arches fines (…) son créateur souhaite que toutes ses fonctions esthétiques soient gommées et invisibles à l’œil de l’observateur (…) qu’elle donne l’impression d’ensemble d’une ligne continue, légère et sans cassure, qui flotte au-dessus du tableau (…). ».
Cette vision soutenue par l’artiste tout au long de la procédure n’a pas convaincu les juges du fond (CA Aix-en-Provence 20 septembre 2018), qui ont retenu que la longueur du tube de la lampe ainsi que ses arches en demi-courbe sans position déterminée présentent un caractère purement fonctionnel, s’inscrivant dans une tendance ancienne, et que cette combinaison ne traduit pas un parti pris esthétique manifestant la personnalité de son auteur.
La Cour de cassation se range, quant à elle, du côté du designer, accueille son pourvoi et casse la décision de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence. Elle considère que la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au motif qu’elle n’a pas pris en considération l’ensemble des caractéristiques « dont la combinaison était revendiquée comme fondant l’originalité de l’œuvre ».
Les conseillers de la Cour suprême ouvrent ainsi la porte à une protection par le régime des droits d’auteur de cet objet, certes utile, mais de design en estimant que les juges du fond auraient dû prendre en considération tous les éléments allégués par l’auteur pour fonder l’originalité de l’œuvre – et pas seulement quelques-uns -, peu importe son caractère utilitaire.
Il est également intéressant de constater que la décision a été rendue au visa de l’article L. 112-1 du CPI ainsi rédigé : « Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ». Nous ressentons à ce simple visa, une sensibilité accrue des conseillers de la Cour de cassation à la protection des œuvres de design par les droits d’auteurs en ce qu’ils veulent créer un climat juridique quasi « non discriminatoire » envers ces œuvres.
L’appréciation imposée de la combinaison de l’ensemble des éléments fondant l’originalité de l’œuvre et le visa de l’article L. 112-1 du CPI ne sont pas des éléments nouveaux en jurisprudence. Une décision de la première chambre civile de la Cour de cassation du 12 septembre 2018 (n° 17-18.390) estimait déjà que « l’originalité d’une œuvre doit être appréciée dans son ensemble au regard des différents éléments qui la composent, pris en leur combinaison ». Ainsi, le caractère banal ou connu de certains éléments de l’objet concerné, pris isolément, ne peuvent conduire les juges à conclure à un manque d’originalité sans avoir apprécié la combinaison de l’ensemble de ces éléments en une possible forme originale. Dans cette décision, il était question d’un portail réalisé en fer forgé dont le caractère original a été reconnu par la cour d’appel de renvoi (CA Nancy 29 octobre 2019).
Dans notre affaire, c’est désormais la Cour d’appel de Lyon qui devra étudier l’ensemble des caractéristiques alléguées par le désigner et juger, sous le contrôle de la Cour de cassation, si sa création est susceptible d’être protégée par le droit d’auteur, voie que cette dernière semble avoir largement ouverte.
II-Sur le fondement des actions en contrefaçon et concurrence déloyale
La cour de cassation estime que « l’action en concurrence déloyale peut se fonder sur des faits matériellement identiques à ceux allégués au soutien de (l’) action en contrefaçon rejetée pour défaut de constitution de droit privatif ».
Le point commun entre les actions en concurrence déloyale et en contrefaçon est de sanctionner certaines pratiques portant atteinte à la libre concurrence. L’action en contrefaçon trouve son siège dans une infraction pénale (sanctionnant l’atteinte à un droit privatif) visant à interdire autrui de reproduire ou d’utiliser une création protégée, là où l’action en concurrence déloyale est une action en responsabilité fondée sur le régime général de la responsabilité (article 1240 du code civil). Ainsi, à défaut de succès d’une action en contrefaçon, le plaidant pourrait, à condition de prouver un comportement fautif, voir son action porter ses fruits sur le terrain de la concurrence déloyale.
Sur la possibilité pour le demandeur de se fonder sur des faits matériellement identiques pour agir en contrefaçon et en concurrence déloyale, la cour de cassation se conforme à l’application d’une jurisprudence relativement récente (Cass. Com. 14 novembre 2018 n°16-25.692, affaire Mango). Dans cette affaire, la marque de prêt à porter Mango s’était vu assignée en contrefaçon, concurrence déloyale et parasitisme par une société concurrente se plaignant d’une « reprise de la même gamme de vêtements que ceux commercialisés chaque saison ». Les conseillers de la Cour de cassation avaient estimé que la cour d’appel de Paris avait à bon droit retenu l’existence d’un risque de confusion et avait ainsi conclu que la répétition de la reprise des gammes de vêtements était fautive.
La Cour de cassation serait-elle en train de systématiser l’application de décisions rendues principalement dans le domaine de la propriété industrielle aux enjeux économiques parfois importants au domaine des droits d’auteur ? Si tel est le cas, nous ne pouvons que nous réjouir d’un regain de protection des artistes.
Par Julie Raignault, avocat associé et Andrea Diano, Département Droit de l’Art.
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